Que sont devenues nos anciennes gloires ?
La première
génération de musiciens béninois émerge dès 1963. Ces pionniers
s’inspirent des rythmes de leur terroir, tout en sacrifiant à la
rumba, au cha-cha-cha, à la salsa et au jerk. Plusieurs Béninois
gardent encore à l’esprit des noms tels que Le Renova Band de la cité
historique d’Abomey, le Super Stars de Ouidah et autres
Dany Band. Leurs podiums préférés sont le Soleil de Minuit à
Ouidah et le Bar Kalamazo de Cotonou. De 1963 aux années 1990, des noms
tels que GG Vickey, Edia Sophie, El Rego, ont marqué les
esprits. " Un artiste ne va jamais à la retraite " martèle Vincent
Ahéhéhinnou. Même s’ils refusent le terme " retraite " pour désigner
leur absence de la scène musicale, il est clair que les
anciennes gloires de la musique béninoise s’éclipsent au jour le
jour.
Edia Sophie, plus spirituelle que jamais
Une modeste pièce d’un salon et deux chambres à
coucher, située dans un quartier d’Abomey Calavi. Au salon, des livres
sur la religion et l’histoire côtoient des photos de scène.
Le salon est peu aéré, et l’hôte me propose que nous restions sur
la cour pour l’interview. Nous sommes chez Edia Sophie Aguidigbadja,
première femme chanteuse du Bénin. " Edia Sophie vit dans
de mauvaises conditions ", a affirmé Sénan Joy Jélia ancienne
gloire de la musique béninoise, sur l’émission Adjalassa de la
télévision Canal 3 Bénin.
Outre les rares concerts auxquels elle est invitée,
Edia Sophie s’occupe de sa fondation consacrée aux recherches
spirituelles La.ve.mo.bi.c (la vérité dans le monde biblique et
ses commandements). Au sein de cette structure dont le siège est à
son appartement, Edia Sophie fouille documents historiques et religieux
afin d’aider l’Afrique à " retrouver ses racines ".
Elle a à son actif de nombreuses publications, et donne souvent
des conférences pour vulgariser les résultats de ses recherches.
Née le 18 septembre 1939 à Abomey, Edia Sophie
séduit les Béninois par " Oun kpé zon toé " son premier album, chanté
avec le Renova Band d’Abomey. Edia Sophie évolua de
nombreuses années avec cet orchestre. Ce qui eut le mérite de
faire d’elle la doyenne des vedettes féminines béninoises. Un autre 45
tours intervient en 1969 et porte le titre " Adjanouvi klo
". Le 8 décembre 1990, elle a passé la main à son fils Francis
Edia. Ce dernier poursuit sa carrière et s’est fait un nom dans le zouk
africain.
GG Vickey, silence ! Il médite
Il est introuvable, GG Vickey. Il refuse de parler à
la presse, et pratique énormément la méditation. Si grâce aux albums "
Bénin passion ", les Béninois ont pu jouir de la
deuxième vie de cet artiste hors pair, il s’est retranché depuis
lors. Né en 1944 à Bopa, guitariste de charme, compositeur, grand
parolier, il confesse avoir au début, pincé les cordes ’’pour
s’amuser’’. Mais c’est la guitare qui l’a pris et conservé
jalousement. A son actif, quatre 45 tours dont le plus connu est
’’Gentleman Vikey’’ une reprise de ’’Gentleman Bobby’’ du nigérian
Bobby Benson. Sur le lac ’’Ahémé’’ retenu sur Bénin passion avec
’’Vive les mariés’’ fut écrit sur le vif le 04 avril 1966 dans la
pirogue qui le ramenait à Sègbohoué.
’’Vive les mariés’’ chanté en 1969 continue son
tour du monde même 40 ans après. De la Côte d’Ivoire au Cameroun, en
passant par le Burkina Faso, " Vive les mariés " fait le
bonheur des amoureux.
Clément Mèlomè, une voix poly rythmique
Impossible d’évoquer l’orchestre Poly Rythmo sans
penser à Clément Mèlomè, cet intarissable compositeur né le 27 septembre
1945 à Allada. ’’Gbé timan djro’’ et ’’Tombola tché dou
nou’’ ont été au nombre des plus grands tubes de la musique
béninoise. Ces deux morceaux qui sont respectivement la fresque de la
jalousie et de la méchanceté des hommes et l’hommage d’un homme
à son épouse ont été révélés à la nouvelle génération de mélomanes
sur l’album " Bénin passion ". Clément Mélomè est aussi l’auteur de
’’Angelina’’ son tout premier 45 tours.
Danialou Sagbohan n’a pas pris de ride
Les Béninois ont récemment découvert Djibril
Sagbohan, le fils de Danialou à l’occasion du lancement de son album.
Mais malgré ses quarante ans de carrière, (1967-2007),
l’homme-orchestre n’a pris aucune ride. Son Kaka cartonne
toujours, en témoignent les ventes d’albums et les sollicitations de
divers promoteurs. Notre Hagbê national vient d’ailleurs de sortir
un nouvel album, " Oya lo su ". Un tube dans lequel, Sagbohan
Danialou s’adresse aux dirigeants actuels. Musulman pratiquant et ancien
fonctionnaire de la Bcb.
Le public l’a surnommé ’’L’homme orchestre’’. Et
pour cause : au micro, à la percussion, qu’il gratte les cordes ou
souffle dans une embouchure, Danialou est parfait et
demain n’est pas la veille de sa retraite.
Sans soutien, ils sombrent et meurent
Au Bénin, la retraite des vedettes de la musique
n’est pas des plus reluisantes. Des artistes, les stars d’hier, traînent
dans les rues, telles des carcasses, de véhicules
laissés à la casse, à l’abandon. L’état de leur domicile ne laisse
voir aucun signe de gloire. Seuls quelques distinctions accrochées sur
des murs lézardés, parsemés de toiles d’araignées font
référence à ces moments de gloire.
A l’origine de cette déchéance, le manque de
soutien, d’entretien et la mauvaise préparation de la retraite. Nos
artistes n’ont en effet pas de soutien pendant leur retraite. Ils
sont laissés au gré de la nature, de la société sans cesse en
évolution, qui, avec le temps, ne les compte plus. Délaissés, empêchés
par le poids de l’âge de s’amuser, d’animer comme toujours,
ils sombrent dans l’alcool. Et, telles des feuilles, ils
s’assèchent, tombent et sont emportés par le vent dans l’abîme. Du
peuple, ils reçoivent pour toute reconnaissance, une décoration à
titre posthume.
Tel a été pour un émérite artiste décédé il y a un
an. Leader vocal d’un groupe mythique qui a fait parler du Bénin dans la
sous région et dans le monde dans les années 90.
Quelques mois avant son décès, il a donné un spectacle poignant au
public venu assister à une rencontre de distinction. Déjà, dans la
salle d’attente du Centre international des conférences de
Cotonou, ses propos allaient au-delà d’une réaction normale, on
sentait que l’alcool faisait effet. A plusieurs reprises, il a fait
irruption sur le podium au cours de la manifestation sans
être annoncé. Après une énième montée au cours de laquelle son
comportement était un peu de trop, les organisateurs se sont vus obligés
de le traîner de force du podium. Une scène qui, au lieu
d’être risible, a laissé place à la pitié.
Voilà ce qu’est devenu un vaillant homme, animateur
de grandes soirées. Aujourd’hui devenu éthylique par manque de soutien,
d’attention, de suivi.
Ce cas, n’est malheureusement qu’un parmi la
multitude qu’il y a dans notre pays. On se souvient encore de l’artiste
Stan Tohon qui, par manque de soutien s’est retrouvé à un
cheveu de la mort. N’eût été la promptitude de quelques bonnes
volontés, il aurait pris place dans le catalogue des grandes voix
disparues du Bénin. Bien sûr, après avoir reçu à titre posthume
sa médaille pour services rendu à la nation.
C’est en général le sort de nombre de nos pères
artistes, ceux là qui ont façonné l’image du Bénin sur le plan musical
dans la sous région et dans le monde. Et, ils sont nombreux
à être oubliés de la sorte. L’on apprend un beau jour, le décès de
l’artiste sur les ondes. Un moment d’étonnement, de regret, de
nostalgie et c’est l’oubli. La vie continue.
L’autre chantre de la musique béninoise oublié,
mais heureusement repêché. C’est le gentleman G.G. Vichey. Il a été vu
en public, il y a des mois. Solitaire de nature, ermite de
circonstance, ce musicien poète, a l’art de faire danser les âmes
meurtries par l’amour avec ses mélodies et textes. On se rappelle sa
chanson ’’Le gentleman GG Vickey’’ devenue chant
populaire. L’autre crème des amoureux dont le texte dit ’’Je te
revois, je te vois étoile. Mais plus comme autrement’’. Plus chanceux
que d’autres, ses mérites ont été reconnus et il a
bénéficié de l’aide de la Loterie nationale du Bénin qui lui a
fait don d’une villa dans laquelle, le poète éternel, amoureux des mots,
des mélodies douces coule, nous l’espérons ses
jours.
Jouissance hier, calvaire aujourd’hui
Au lendemain de la mort du chanteur Eskill Lohento
du groupe Poly Rythmo, Clément Mélomè, membre fondateur du groupe, au
cours d’une interview accordée au journal ’’Fraternité’’
passait en revue les grands moments passés avec son copain Eskill.
Au cours de son histoire, il a parlé d’une de leur ’’folie’’ après une
tournée dans la sous région. Ils se sont permis un
moment de plaisir. Des heures dans des hôtels de quatre étoiles,
achat de repas de classe, tout un luxe. Selon ses mots, il ne leur
restait presque rien de l’argent gagné dans la
tournée.
Pour eux, c’était juste un moment de plaisir, mais
pour d’autres artistes, c’est à chaque fois la même chose. Tout l’argent
de la prestation est dépensé dans le plaisir sans
penser au lendemain. Hypothéquant ainsi leur retraite qui devient
pour eux un calvaire. Et leur refuge, ils le retrouvent parfois dans
l’alcool.
Que dit la loi sur la propriété artistique ?
Selon l’article 52 de la loi N°2005-30 du 10 avril
2006 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins en
République du Bénin, "Le droit d’auteur dure toute la
vie de l’auteur et soixante-dix (70) années civiles à compter de
la fin de l’année de sa mort". Un peu plus loin, l’article 57 stipule
que "A l’expiration des périodes de protection visées aux
articles 52 à 56 pendant lesquelles un droit exclusif est reconnu
et appartient aux auteurs, à leurs héritiers ou aux ayants droit, les
œuvres de l’auteur tombent dans le domaine public
".
Entre la loi et la réalité...
A la lecture de ces deux articles, il est aisé de
comprendre que tant que l’artiste vit, il bénéficie des émoluments
générés par l’utilisation de ses œuvres et peut en jouir
jusqu’au jour de sa mort. Et jusqu’à 70 ans après sa mort, ses
héritiers devraient continuer à en bénéficier. Mais la vie de certains
artistes qui ne sont plus sur scène car, affaiblis par
l’âge et délaissés par les muses, laisse à désirer. A voir
certains, on se demande s’ils bénéficient effectivement de ces avantages
et si oui, ce qu’ils en font. Car, dans leur vie hors scène,
ces anciennes gloires de la musique béninoise des années 60,
présentent l’aspect de miséreux, habitant dans des abris de fortune et
abandonnés parfois par leurs proches, car, ils n’ont plus
rien à démontrer. Plongés dans des soucis, ces anciens artistes
trouvent comme seul refuge, l’alcool qui devient leur fidèle compagnon.
D’autres deviennent des nécessiteux et quémandent presque
dans les rues. Dans tous les cas, ils n’arrivent plus à se prendre
en charge une fois hors course. Ils n’ont presque rien à leur actif
comme réalisations à la hauteur de leur popularité. Pire
encore, quand ils tombent malade, ils sont livrés à eux-mêmes et
deviennent une charge pour leur famille. Ils en meurent quand la famille
se trouve limitée devant les besoins. Telle est l’image
que présentent certaines anciennes gloires de la musique
béninoise, autrefois adulées et qui faisaient danser les anciennes
générations. Combien perçoivent-ils au Bureau béninois des droits
d’auteur ? Que font-ils de cet argent pour être tel qu’on les voit
actuellement ?
Certains artistes de renom ont passé toute leur vie
dans la maison familiale et y sont décédés. D’autres encore ont
bénéficié de la générosité de certaines structures pour avoir
une vie relativement acceptable.
Les artistes s’écroulent face aux réalités de la
vie après les podiums. Un regard devrait être jeté à leur endroit.
Construire par exemple des habitats sociaux qu’ils pourraient
habiter pour jouir des énergies de leur jeunesse au soir de leur
vie d’artiste. Etablir le statut d’artiste en sorte que ces derniers
puissent bénéficier des réductions d’au moins 50% sur les
soins de santé et l’achat des produits pharmaceutiques, la prise
en charge de leur évacuation à l’extérieur (si cela est nécessaire) par
l’Etat... Cela assurera une vie moins précaire aux
artistes qui s’écroulent sous le poids de l’âge et prolongera
également leur espérance de vie.
Source:http://illassa-benoit.over-blog.com
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