Les fausses notes de Lionel Zinsou vues par Florent Coua Zotti
Dans une chronique qu’il a publiée sur son mur Facebook, l’écrivain
béninois Florent Couao Zotti a dénoncé la banalisation du secteur culturel dans
le projet de société du candidat à la présidentielle du 06 mars 2016, Lionel
Zinsou. Selon son analyse, il s’agit d’une compilation d’idées « passe- partout
» pour abêtir les acteurs culturels.
Lisez…
Projet culturel de Zinsou : très transparent.
J’avais, dans un précédent
article, préjugé prometteur le programme culturel du candidat Lionel Zinsou et
estimé, eu égard à ce que fait sa Fondation, qu’il pouvait nous faire rêver,
nous projeter, nous, hommes de culture, dans une autre dimension du
développement culturel à mille lieues des balbutiements et de l’amateurisme du
régime sortant. J’étais tout émoustillé, curieux de découvrir, ligne par ligne,
les ambitions que Zinsou nous réserve là-dessus. Vous devinez mon empressement
quand le projet de société « LE BÉNIN GAGNANT » a été rendu public. Je l’ai
téléchargé, je l’ai parcouru plusieurs fois, tout en haleine, persuadé que le
Bénin allait décrocher le gros lot. Surprise et déception. La montagne, comme
dit mon voisin, a accouché, non pas d’une souris, mais d’un gentil..pet.
Projet culturel Les fausses notes
de Lionel Zinsou vues par Florent Coua ZottiRamassées en quelques alinéas
(78-81) les ambitions du candidat du régime au pouvoir constituent une
compilation de banalités, quelques idées passe-partout, ce dont les hommes
politiques ont l’habitude de nous abreuver quand il s’agit de trouver « quelque
chose » pour boucher, à la dernière page, le chapitre réservé à la culture. A
la limite, ces idées restent aussi imprécises qu’évasives, mais relèvent
surtout – bizarre – d’une méconnaissance étonnante de l’existant. On a
l’impression que la réalité matérielle des arts et des lettres, le fait culturel
béninois à partir duquel doit pourtant s’échafauder ce programme, échappe en
majorité au candidat.
Florent Coua-Zotti, Ecrivain béninois |
Page 78 par exemple, on proclame
« le financement de la création contemporaine et de ses infrastructures
culturelles ». Je rappelle ici que ce financement se fait déjà à travers les
différents guichets du ministère de la culture: que ce soit par la Direction de
la Promotion Culturelle et par le Fonds d’aide à la Culture. A aucun moment,
dans les déclinaisons liées à cet engagement, Zinsou ne parle de cette caisse.
Or, elle constitue l’obsession des créateurs béninois, même si le mode de son
opérationalité est sujet à polémique. Existe-t-elle dans le chantier du
candidat? Sinon, que veut-il en faire? Va-t-elle la reformer, la supprimer?
Mystère.
Autre incompréhension relevée :
la construction d’une bibliothèque Nationale. Elle existe déjà, cette
institution, nichée à Porto Novo ( Ouando)construite depuis 1985 sur un espace
grand comme deux terrains de football. Il y a lieu de la restaurer, d’en
augmenter le fonds documentaire, de la moderniser, peut-être aussi d’en
dupliquer le modèle, à petite échelle, dans les chefs-lieux de département.
Mais alors que vont devenir les bibliothèques départementales, les CLAC qui
peinent à vivre? Lionel Zinsou a certes créé des bibliothèques à Cotonou et à
Ouidah, mais connaît-il les souffrances des CLAC de Savalou et de Lokossa par
exemple ?
Autre constat: la création des
Maisons des Jeunes. Il en existe déjà, construites avec la collaboration de La
Loterie Nationale du Bénin. On a en recensé trente-deux à travers le pays. Là
dessus, se greffent les Maisons du Peuple élevées au temps de la Révolution,
espaces dédiés à la culture de masse mais malheureusement mal adaptés ou mal
équipés pour la diffusion, dans des normes universelles, des arts visuels ou
vivants. Ici, j’approuve le candidat qui promet d’équiper ces lieux, non pas
après les avoir créés, mais après les avoir restaurés.
Le programme culturel de Lionel
Zinsou pèche aussi par l’absence, dans ses projets, des grands rendez-vous
culturels qui rythment la vie des professionnels des arts. Outre les festivals
départementaux des arts, il y a, érigés en institutions, des grands moments qui
fédèrent la création contemporaine et projettent le Bénin sur le curseur
international: le Fitheb, le Silco, Bénin Regards, financés par l’État. Du
reste, il y a une « tragédie Fitheb » qui se déroule en ce moment sous nos yeux
sans que personne ne lève le petit doigt. On me dira qu’on ne peut aller dans
les détails. Mais je m’étonne que, lorsqu’il s’agit de Musées, domaine
d’intervention de la Fondation, le programme n’est plus anecdotique. Au
contraire, il est bien fourni:
Page 79: « assurer la gratuité
des musées publics et les associer au projet pédagogique des écoles et
collèges. »
Page 80: « développer des musées
locaux d’arts et traditions, créer un Mémorial de l’Histoire nationale et un
Mémorial de Mathieu Kerekou ».
Si les visites scolaires dans les
musées sont depuis toujours intégrées aux sorties pédagogiques, j’apprécie
qu’on propose qu’elles soient gratuites. Mais les recettes générées par cette
activité permettent à ces espaces de faire face à leurs dépenses courantes que
les subventions maigres et ridicules de l’État n’arrivent pas à couvrir. Sur ce
plan, j’applaudis des deux mains lorsqu’on me parle de « valoriser le
patrimoine historique culturel et cultuel », quand bien même cette notion demeure
générique et fourre-tout. Par contre, je suis sceptique sur la création d’un
Mémorial de Kérékou. Le personnage, malgré l’émotion suscitée par sa mort, reste
encore vivement controversé…
D’une façon générale, le
programme n’a pas d’évaluation chiffrée. A combien s’élève le financement de la
création contemporaine ? A combien peut-on estimer le coût de l’érection
d’infrastructures culturelles comme le Théâtre National, les salles de
spectacles, le Conservatoire National de Musique, les studios d’enregistrement
? Que dit-on des grandes fêtes traditionnelles communautaires pour lesquelles
la contribution de l’état est requise et obligatoire ? Rien, aucune ligne
budgétaire n’a été annoncée. Bref, un projet non chiffré reste une idée certes,
avancée, mais elle ne peut se convertir en véritable projet, incitateur
d’allants et de convergences.
Je pourrais relever mille et une
choses que je trouve imprécises, anachroniques et peu innovantes dans ce
programme, mais on me dira que j’ai tendance à trouver le diable dans le
détail. Mais le diable, c’est bien le grain de sable qui enraye toujours le bon
fonctionnement de la mécanique. Lionel Zinsou a de quoi séduire les culturels
béninois, mais son approche m’a paru superficielle et transparente. Bref, le
minimum syndical quoi…
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