samedi 15 mars 2014

Tête à tête avec Sakpata Zogbo suite aux réformes dans le secteur culturel

‘’ Nous danseurs professionnels donnons le meilleur de nous même pour l’image du pays, mais nous ne pouvons même pas nourrir nos familles’’


Plusieurs réformes sont annoncées ces derniers jours dans le secteur culturel au Bénin. Les autorités en charge de la culture veulent révolutionner ce secteur afin de le rendre performant et générateur de revenu pour la nation. Mais est-ce que tout est réglé déjà dans les secteurs vitaux de la culture ? Pour en avoir une idée, nous sommes intéressés au domaine de la danse. Un danseur professionnel et pas des moindres au Bénin s’est prêté à nos questions. Il s’agit de Léon 
Hounyè ou Sakpata Zogbo. Il parle de la misère des danseurs professionnels au Bénin, de la danse et de ce qu’il faut faire pour qu’elle ne se meure. Lisez plutôt.


La danse et Sakpata Zogbo une longue histoire, quel est votre parcours ?

Merci de nous accorder du prix, car c’est la première fois à ma connaissance qu’un journaliste culturel du Bénin, s’intéresse aux professionnels de la danse. Ceci dit la danse, je l’ai commencé depuis ma tendre enfance. A la maison partout je dansais et en grandissant, j’ai intégré plusieurs groupes folkloriques de Toba dans mon quartier. Après avoir acquis des expériences, j’ai fait mon adhésion au groupe d’Anagonou Vodjo où j’ai appris à danser le rythme Akonhoun d’ Abomey. Chemin faisant Dakossi Denis nous sollicita pour le tournage du clip de sa chanson intitulée ‘’Kouo lognin Ahouan’’. C’était d’ailleurs le tout premier clip dans lequel j’ai dansé en tant que danseur professionnel. Ensuite, j’ai intégré Ori Danse de Florent Hessou, après ce fut les As du Bénin où j’ai passé quatre ans avant de revenir chez Anagonou Vodjo. J’en étais là lorsque Simplice Béhanzin était venu me solliciter pour intégrer son groupe folklorique du rythme Akonhoun. Sur mon chemin de danseur et partout où je suis passé, j’ai toujours innové et créant des danses pour chaque troupe. C’était au sein d’Ori Danse que j’ai effectué mon premier voyage en tant que danseur professionnel. C’était aux Etats-Unis où j’ai été vraiment adulé. Du retour au bercail, j’ai été recruté au sein du Ballet national où nous avons évolué pendant 2 ans sans salaire. Voilà brièvement mon parcours, mais j’avoue qu’il est très difficile d’être danseur professionnel au Bénin et moi je souhaiterais même que la danse se meurt et au grand jamais mes enfants ne deviennent danseurs dans ce pays. Car nous autres danseurs professionnels du Bénin nous souffrons trop.  

Pourquoi souhaitez-vous que la danse au Bénin se meurt, si on considère que ceci est votre seule profession, qu’est-ce qui motive un tel vœu ?
Sakpata Zogbo, un phénomène des danses béninoises

Je ne peux que vous remercier pour cette question. Je souhaite simplement que la danse disparaisse de ce pays et qu’on en parle plus, parce que voyez-vous dans ce pays nous n’avons rien à vendre aux autres si ce n’est nos danses. Nous n’avons ni football, ni basket Ball, ni théâtre, ni artistes de la musique, nous n’avons rien. Selon vous, quel est l’artiste de théâtre aujourd’hui au Bénin  qui peut aller jouer dans un pays anglophone ? Jusqu’à demain, cet artiste n’existe pas. La dernière fois en Pologne c’est de petits enfants d’un chœur polyphonique qui de part leur voix ont surpris leur monde. Ici nous n’avons rien de cela. Moi j’ai dansé dans ce pays et le président polonais est venu m’enlacer ce qui a fait le chou gras de beaucoup de journaux en Europe et le nom du Bénin est sorti grandi. Nous danseurs professionnels donnons le meilleur de nous même pour l’image du pays, mais nous ne pouvons même pas nourrir nos familles. On ne peut même pas scolariser nos enfants, pourtant c’est un métier qui pourrait bien nourrir son homme au Bénin. C’est la manière de gérer les choses qui est peu catholique. Les vrais danseurs ne sont pas des gens qui étudient pendant longtemps. Ils ne disposent même pas du temps pour étudier, car ils sont tout le temps dans la pratique parce que la danse est un domaine très vaste, contrairement aux autres domaines de la culture où les artistes sont beaucoup plus relaxes.  Nous avons pourtant des gens comme Alladé Koffi Adolphe qui se battent pour le rayonnement de la danse au Bénin, mais c’est encore un terrain vierge où lorsqu’on envoie un intellectuel, il vient s’accaparer de ce qui devrait en temps normal revenir aux danseurs. Ceux là roulent dans de belles voitures pendant que les vrais acteurs, les danseurs qui déploient leurs énergies sont à la traine, parmi eux il y en a qui n’ont même pas un moyen de déplacement. Nous évoluons dans des conditions très difficiles, c’est pour toutes ces raisons que moi je voudrais bien que la dance se meurt, ou qu’on aille à la reforme des choses.


Mais face à ce tableau sombre de l’univers de la danse, quelles sont vos conditions en tant que danseurs professionnels au Ballet National?

A l’ensemble artistique National, les danseurs professionnels que nous sommes, sont à 50.000f CFA par mois et par personne. De vous à moi, voyez ce que les danseurs déploient comme effort et ils ne  sont pas récompensés à la hauteur de ses efforts là. Avec les 50.000f CFA, que pourront-ils faire? Rien du tout, même pas satisfaire aux besoins vitaux de leurs familles et avoir d’économie. Mais aucune autorité ne daigne réagir jusque là, pour mettre fin à une telle injustice. Tenez le Fonds d’aide à la culture, voilà une structure qui peut facilement aider les danseurs professionnels à sortir des sentiers battus, mais elle évolue dans le cafouillage total. C’est aux artistes qui sont déjà riches que ce fonds accorde encore des subventions. Les danseurs contemporains prennent de l’argent au Fonds d’aide, mais les danseurs de nos danses traditionnelles qui élèvent ce pays ne sont pas reconnus.

Donc en définitif, le métier de danseur  au Bénin ne nourrit vraiment pas son homme ?

Evidemment que non et pour que ce métier nourrisse la famille d’un danseur, il faudrait que ce dernier soit un menteur, un vrai roublard et qu’il chante la bonté d’un tel ou d’un tel autre. C’est ici le lieu de remercier encore une fois Alladé Koffi Adolphe. Il a une troupe bien structurée il a acheté des motos qu’il a distribué à tous ses danseurs et danseuses, qui tous sont salariés. C’est un vrai combattant pour la cause des danses traditionnelles au Bénin. A quoi sert la direction de la promotion artistique et culturelle ? N’est-ce pas cette direction qui devrait s’attaquer à la danse et de la développer ? Mais elle ne fait rien du tout. Comment un danseur professionnel pourrait nourrir sa famille si de retour d’un voyage de deux (02) mois à l’étranger, on lui donne 100.000f CFA.  C’est difficile et c’est vraiment déplorable.

Alors si vous êtes confrontés à tous ces problèmes, pourquoi n’allez-vous pas en association pour ensemble défendre vos droits et intérêts ?

Lorsqu’on tombe, il ne faut pas voir là où on a trébuché mais plutôt là où on a cogné du pied contre la pierre. Le ver est donc dans le fruit. Beaucoup de nos devanciers, des gens comme Koffi Alladé avaient eu cette initiative de mettre en place une association. Mais depuis lors, ceux à qui un tel regroupement des danseurs ne rendra pas service, font tout pour mettre les bâtons dans les roues. Ils corrompent, certains artistes qui n’ont pas de convictions.  C’est ce qui s’est produit jusque là. Aujourd’hui encore, je suis le seul danseur qui ose défendre l’intérêt commun et qui ose me rebeller.

Parlons de votre talent de danseur professionnel. Chose apprise ou simplement un don de Dieu ?

Etre danseur, cela ne s’apprend pas, c’est Dieu qui donne. On nait avec la danse dans le sang. Je vous donne mon exemple. Moi je suis Toffin de Sotchanhoué, mais vous voyez comment je danse toutes les danses du Bénin. Si on crée une danse et que je ne la maîtrise pas, cela me rend dingue. Aucune danse aujourd’hui au Bénin ne peut me résister. C’est le don, c’est le talent.

Un mot à l’endroit de Marcel Zounnon, du ministre de la culture et de ses collaborateurs pour que la danse au Bénin ne se meurt ?

D’abord je salue le directeur du Ballet National, Marcel Zounnon. Au départ on ne s’entendait pas, mais aujourd’hui j’ai compris que c’est un homme de vision. Il nourrit de grandes ambitions pour ce Ballet, qu’il continue sur cette lancée et qu’il n’écoute pas les mauvaises langues. Au ministre et à ses collaborateurs, je voudrais leur demander d’accorder plus de crédits aux danses traditionnelles et au Ballet National, qui font parler du Bénin partout dans le monde.


Propos recueillis par Patrick Hervé YOBODE 

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