LE POUVOIR MYSTIQUE DU KORO ALPHA
On le surnomme Jaeger ou le Vieux Père
chez lui. Le truculent Alpha Blondy, parfois controversé pour ses positions
politiques, revient avec un Mystic Power empreint de sagesse
et d'esprit de conciliation
Dans quelles circonstances avez-vous enregistré l'album, entre Paris et Abidjan ?
En partie à Paris parce que les musiciens sont à Paris. J'avais les programmations dans ma chambre d'hôtel, avec un Mac Book Pro et un clavier maître. Je pouvais travailler comme en studio à partir de ma chambre. Une fois à Abidjan je déversais le contenu, enregistré avec mes musiciens : en partie au Caverne studio à Paris, en partie au studio Marcadet à la Plaine Saint-Denis. Mais le plus gros travail a été fait à Abidjan. Avec le système de fichier partagé, j'envoie un fichier à mon guitariste, à mon clavier et on se concerte sur la qualité du morceau. Et ainsi de suite. Les chœurs ont été enregistrés à Abidjan dans mon studio Météor. Ça s'est fait dans une très bonne ambiance
La chanson phare de l'album c'est Réconciliation, sur la crise ivoirienne. Ce n'est pas une chanson marketing ?
Quand tu as connu la Côte d'Ivoire que j'ai connue, tu te dis que la réconciliation est indispensable. Il faut ressouder le tissu social de Côte d'Ivoire. J'essaie à mon modeste niveau de leader d'opinion, d'artiste, de ramener les Ivoiriens à cette époque lointaine où nous étions unis, avant que la politique ne nous divise. C'est pour ça que j'ai travaillé avec mon petit frère Tiken Jah. Chacun devait apporter un texte à la chanson. Tiken a chanté en français et en dioula. Meiway en appolonien, en nzema. Monique Séka a apporté son message en langue attié. Ismael Isaac en malinké. Waipa Saberty en bété. Pour la version africaine, les petits frères de "Magic System" sont intervenus. On a voulu, avec cette réunion d'artistes, toucher la fibre sensible des populations ivoiriennes. Essayer d'envoyer des messages forts aux hommes politiques. C'est vrai qu'ils se sont plantés. Mais l'erreur est humaine. Nous les critiquons. Mais je me pose la question de savoir : "si on avait été à leur place est-ce qu'on aurait fait mieux ?" La question est de savoir : "Peut-on leur donner un coup de main pour qu'ils se ressaisissent et corrigent le tir. C'est ce que nous avons essayé de faire avec la chansonRéconciliation".
Quel a été le résultat concret des doléances exprimées lors de la Caravane de la réconciliation qui a sillonné la Côte d'Ivoire
À ma grande surprise, je crois que le président de la République Monsieur Ouattara a saisi l'importance du message de la caravane et de nos doléances. On a demandé la libération des pro-Gbagbo, non coupables de crimes de sang. Un ou deux mois après la caravane, Ouattara a fait libérer huit prisonniers pro-Gbagbo. Pour moi c'est un très bon commencement. J'ai envoyé un message de remerciement à son chef de cabinet pour remercier le Président d'avoir répondu à une partie de nos doléances. On ne peut pas dire que la caravane n'a servi à rien.
Dans le même sens, il y a ce titre Pardon. Est-ce parce qu'on a vous a récupéré politiquement à un moment donné ?
Dès qu'il y a un musicien connu, africain ou non, les politiques vont essayer de le récupérer. Qu'on le veuille ou non. Que ce soit en France, en Côte d'Ivoire… les politiques sont là. Si tu arrives à regrouper mille personnes, ils sont déjà là. Si tu rassembles cent mille personnes, ne t'en fais pas : ils vont tous essayer de t'avoir. Dès fois, malheureusement, tu le paies. Imaginons que j'ai deux amis. Ils ont chacun un parti politique. Mais ce sont mes amis. Sauf qu'en tant qu'Alpha Blondy on t'oblige à choisir, parce que le parti du premier est l'ennemi du parti de l'autre. C'est l'un ou l'autre. Quelque part on t'enferme dans une case. Tu vis cette solitude, dans la multitude. On te dit que tu es leader d'opinion. Et en même temps on t'interdit d'avoir une opinion ! Houphouet Boigny m'a dit : "Quand tout le monde t'aime tu ne t'appartiens plus." Tout le monde voudrait que tu appartiennes à son camp. Si je vais d'un côté les autres vont m'en vouloir et réciproquement. En tant que double ambassadeur de paix de l'ONU et de la CEDEAO j'avais pris mon rôle au sérieux. J'ai rencontré les différents partis politiques. J'ai eu la chance de rencontrer Monsieur Ouattara et lui faire ma proposition de sortie de crise. J'ai rencontré Monsieur Gbagbo. J'ai été voir les gens de l'ex-rébellion, à Bouaké, pour leur faire ma proposition. Je peux dire, sans prétention aucune, que j'ai initié le dialogue direct, accepté, à l'époque, par Guillaume Soro et l'ex président Gbagbo- et qui a accouché des accords de Ouagadougou. Ces accords nous ont amenés aux élections. J'ai cru pendant à un moment que nous aurions des élections à la sénégalaise. Que le vainqueur et le vaincu s'appelleraient pour se féliciter. : "Eh vilain, t'as gagné !" Quand ça a dégénéré j'ai pris un gros coup. C'était ridicule. La guerre est arrivée. Toutes ces vies gâchées. Le ridicule a rejailli sur la Côte d'Ivoire et le continent africain. La démocratie africaine. Ça m'a fait mal. Quand j'ai écrit Pardon, je me suis regardé dans la glace. Je me suis dit : "Nous avons, j'ai failli." J'ai failli en tant qu'ambassadeur de paix. Si j'avais réussi il n'y aurait pas eu un seul coup de feu. On aurait pu avoir des élections, comme au Sénégal ou le vainqueur a reconnu le vaincu. J'ai pris le fait que ça ait dégénéré comme mon échec personnel. J'ai cru ce que les politiciens m'avaient promis : que ce seraient des élections fair-play. Malheureusement ça n'a pas été le cas. Cette chanson me permet de demander pardon à tous ceux qui ont cru comme moi aux promesses des politiciens d'élections démocratiques en Côte d'Ivoire. C'est ma façon de pleurer tous ces morts qu'on aurait pu éviter. Tous ces jeunes soldats, ces petits frères, ces enfants à moi, qui viennent à mes concerts. C'est un grand mea culpa. J'ai été naïf. C'est ma faute. J'ai cru en la parole des politiques.
Votre maison est à Cocody, secteur qui a été dûrement touché lors de la phase finale du conflit. Comment avez-vous vécu cet épisode de "La bataille d'Abidjan" que vous racontez sur un titre ?
J'arrivais du Brésil. J'étais en studio pour travailler sur l'album Vision. À la maison on n'a heureusement rien eu. Ma femme, ma mère, mes enfants étaient là. Je pense que les trois partis se sont dit : "Alpha le vieux père nous avait avertis." Je leur avais dit : "On ne peut pas aller aux élections avec deux armées face à face. C'est dangereux". On a souvent vu des élections avec deux, voire trois vainqueurs en Afrique. Si vous avez deux armées face à face chacun des vainqueurs pourra dire à ses troupes d'aller chercher sa victoire. Je les avais prévenus. On m'a répliqué : "Non ! En politique ça ne se fait pas." Les politiques ont toujours raison ! Et puis quand ça a pété… ça a donné la bataille d'Abidjan. On m'a dit : "Pardon, mais ton discours de paix là il faut laisser ça ! En Côte d'Ivoire tant qu'on ne se frappe pas, on ne va pas se respecter ! On va se frapper et là il y aura un vainqueur et un vaincu. À partir de là on va tout redémarrer !" J'ai dit : "Est-ce que vous avez besoin de ça ?" Ils ont prétendu que dans tous les pays du monde c'est comme ça que ça se passe. J'ai répondu : "Ce n'est pas parce que Pierre ou Paul a tué sa grand-mère que je vais tuer la mienne. - Ah mais Alpha c'est de la philosophie !" Quelque part, j'étais impuissant. On te donne de grands titres : ambassadeur de la CEDEAO, des Nations-Unies. Mais quels pouvoirs as-tu réellement sur le cours des événements ? Je ne suis pas un politicien. Soyons clair. Mais, avec le bon sens que je prétends avoir, on aurait pu éviter tous ces morts. Ce qui est terrible, c'est cette façon effrontée de mentir des politiques. En Côte d'Ivoire on parle de trois mille morts. J'ai des connaissances au Haut-commissariat pour les réfugiés qui sont formelles. Abidjan, seulement, a un bilan de cent mille morts ! Je ne parle même pas des combats à l'Ouest du pays. Est-ce que vous connaissez une guerre où on ne fait pas de prisonniers ? Aucun des deux camps n'a fait de prisonniers ! Ceux qui se sont retrouvés au Golf Hôtel d'Abidjan sont des jeunes que l'ONU a mis à l'abri. Sinon ils auraient tous été massacrés ! Il n'y a pas eu de prisonniers à l'Ouest. Pour donner une idée de la violence. Je suis triste par rapport à ça. Je me tue à dire aux médias combien ça a été violent. Et tant qu'on n'aura pas légiféré sur ce concept qu'est "l'ivoirité" ce n'est pas fini.
Vous le chantez dans Danger ivoirité. La réconciliation ce n'est pas acquis ?
Non ! On va se réconcilier. Mais souviens-toi ! Si j'ai l'occasion tu vas me le payer cher. D'après vous est-ce que c'est une façon de se réconcilier ? C'est ce que j'entends autour de moi. Les pro-Gbagbo disent : "Ce n'est pas fini !" Les pro-Ouattara disent : "ça n'a même pas commencé !"
Pourquoi ne pas entrer en politique comme Youssou N'Dour ?
Vous voulez m'envoyer à l'abattoir ! Youssou N'Dour peut s'engager en politique car les Sénégalais ont plus de maturité politique que les Ivoiriens. Chez nous le débat est ethnique, tribal. Au Sénégal tout le monde parle wolof : Un problème ? : Nangadef ! Le jour où tu apprends que je suis entré en politique envoie des fleurs à ma famille !
Dans Crime spirituel vous fustigez ceux qui commettent des crimes au nom de l'Islam
Il y a des gens à les écouter, on a l'impression qu'ils veulent convertir Mahomet à l'Islam ! Quand tu les écoutes tu as l'impression que Mahomet, c'est très modéré et que c'est eux qui ont compris l'Islam. Je dis dans ma chanson : Faut pas mêler Mahomet à vos actes criminels ! Faut pas mêler Allah à vos actes criminels ! Parce qu'Allah n'est pas un Dieu terroriste. Mahomet n'est pas un prophète terroriste. Faut pas souiller le saint nom du prophète ! Je suis désolé ! Ce que vous posez comme actes de bandits de grand chemin ce n'est pas ce qu'Allah dit dans le Saint Coran ! Le vrai Jihad commence avec moi-même. Je combats moi-même mon mauvais côté, mon sale caractère. Comment ne pas offenser mon prochain. Comment faire comprendre à mon prochain qu'il a tort sans être violent. C'est ça le vrai Jihad !
À une époque vous chantiez "Armée française allez-vous en" Mais vous êtes favorable à l'intervention de l'armée française au Mali ?
Bien sûr. Est-ce que l'armée française est installée en Afghanistan ? La question est de combattre pour la justice. Soyons clairs. J'ai écrit la chansonArmée française, allez-vous en en 1995, sortie en 1998. Il n'y avait pas tous ces problèmes. La souveraineté d'un pays se mérite et se protège. Quand les nègres ivoiriens ont voulu ce génocide, si l'armée française n'était pas intervenue, les nègres se seraient massacrés pire qu'au Rwanda ! Alors, quand la France empêche les souverainistes de se viander, ce n'est pas elle qui menace cette souveraineté ! Maintenant, la question du Mali. Quand le Mali a été envahi, l'Union africaine a fait une réunion pour trouver la date de la prochaine réunion. Après on a fait une réunion pour décider de la prochaine réunion. Jusqu'au moment où les islamistes se sont dirigés vers Bamako. C'est la même armée française qui a empêché que le Mali tombe dans les mains islamistes. L'Union africaine, au lieu de faire de grandes réunions, devrait développer une force spéciale d'intervention, pour que toute tentative de déstabilisation d'un État membre de l'Union africaine soit rapidement tuée dans l'œuf. Je dis bravo à l'armée française ! Si être souverain c'est être dans les mains de couillons : non merci ! Si c'est de l'ingérence colonialiste : tant pis ! Il vaut mieux une ingérence colonialiste qu'une bande de couillons, assis, en train de se gargariser et de bouffer le pognon de nos peuples !
D'un autre côté vous avez cette chanson France à fric.
On va être clair. Il faut être deux pour danser le tango de la France Afrique. Il faut des voleurs européens et africains. C'est une association de malfaiteurs. Ce n'est pas un clan qui arrive avec une mallette comme ça. Souvent, ceux à qui la France Afrique profite ne sont même pas des politiciens. Ils gravitent autour d'eux. La France à fric. Les politiques sont des caches sexe de la vraie escroquerie France africaine. Il y a des escrocs africains et des acolytes français qui sont en train de niquer le continent, tranquilles. On ne peut pas les toucher car ils n'ont pas de visages. Ils sont tapis dans l'ombre, derrière les gouvernements. Ce n'est pas un petit français qui est allé voir un petit africain pour faire la France Afrique. C'est l'homme d'affaire français qui a des entrées à l'Élysée et est allé rencontrer untel, qui a des accointances dans l'équipe de Macky Sall. Ils ont fait fifty-fifty. Les États français et sénégalais n'ont pas vu les sous. Ils n'ont pas mis leur compte en France. Le pognon est stocké dans un paradis fiscal. Ce sont deux amis inséparables. Les Hollande, les Sarkozy ne sont rien. Ils ont juste leur nom. Les grands bénéficiaires ne sont pas les chefs d'État. On sous-estime le pouvoir des courtisans. En Afrique, les gouvernements passent mais les courtisans restent. Ils ont mis leur comptoir devant la Présidence. C'est ça la vraie France à fric !
Vous abordez également votre voyage de jeunesse américain, teinté de désenchantement, dans My American dream.
L'Amérique fera toujours rêver. Tant mieux ! Il y a l'Amérique que l'on voit dans Salut les copains dans les films, à la télévision. Et il y a l'Amérique réelle. Je suis parti dans les années soixante-dix avec en tête l'Amérique de Woodstock. Peace and love. J'ai fait l'enseignement général en Côte d'Ivoire. Je n'ai jamais travaillé à l'époque. J'arrive en Amérique. Je veux devenir étudiant. Je n'ai pas de bourse. Le visa que j'avais ne me permettait pas de travailler. J'étais coursier à New York. Je fumais des joints. Je livrais des colis. Je n'avais même pas le droit d'être malade. J'ai fait une dépression nerveuse. On m'a dit que je devais me reposer. Mais où est-ce que je pouvais me reposer ? Chez qui ? Je n'étais pas en vacances aux Bahamas ! Cette expérience m'a appris beaucoup. C'était dur mais ça a renforcé ma foi. L'Amérique m'a enseigné que je ne pouvais compter que sur deux choses : Dieu et moi-même. J'ai aussi appris la rigueur dans le travail. Je suis très sévère avec moi-même. L'Amérique c'est la compétition. Même quand on me dit que ma musique est bien je réécoute, je fais écouter pour être sûr. J'ai besoin d'avoir plusieurs avis. La foi en Dieu.
Au cours de ce voyage vous avez eu un déclic en assistant à un concert Reggae de Burning Spear, en 1976
Ça rentre dans ma foi. Pourquoi suis-je allé à Central Park et pas ailleurs ? New York est assez grand. Pourquoi Dieu a voulu que ce jour-là j'aille à Central Park et qu'il y ait Burning Spear ? Ce chanteur avec cette voix gutturale, cette voix de chansonnier de nos villages d'Afrique. Je ne dirais pas que c'est une coïncidence. J'ai entendu une jolie phrase à la télé : "Le hasard est le nom que prend Dieu quand il veut passer incognito." Cette rencontre avec Burning Spear c'est Dieu qui voulait ça pour raffermir ma foi. J'ai la chance de pouvoir chanter ce que j'ai vécu là-bas. D'autres n'ont pas eu cette chance. Aujourd'hui si je parle anglais, c'est grâce à ce séjour américain. J'ai eu la chance de rentrer dans une grande université : Columbia University, même si je n'ai pas eu de diplôme. Pour un Africain, le fait d'entrer dans cette université c'est déjà quelque chose. Si j'avais eu une bourse je serais dans un bureau, quelque part à Abidjan. J'aurai touché un salaire mensuel. Pas forcément le cachet que je touche aujourd'hui ! Moralité : tout ce que Dieu fait est bon. My american dream was very positive !
Dans "Hope" vous chantez avec le Jamaïcain Beenie Man. Vous avez toujours défendu que le Reggae vienne d'Afrique.
On dit "African-American". On doit dire aussi "African-Jamaican", "African-Martiniquan", "African-Guadeloupean". Là, ces gens ont une identité. Antillais, ce n'est pas une identité ! Ces gens ne sont pas tombés du ciel. Ce sont des enfants de l'Afrique : quelque part les Jamaïcains ont en eux leur portion d'Afrique. Comme moi. Le Malien, le Sénégalais, le Congolais ont leur sensibilité. La sensibilité des Africains-Jamaïcains a donné naissance à ce Reggae. Celle des Africains-Américains a donné naissance à ce Blues, à ce Jazz, à ce Rap. Les influences des différentes cultures occidentales, africaines, secouées dans un bocal ont donné naissance à un arc-en-ciel culturel, qui mérite d'être partagé par tous ceux qui y contribuent. Que ce soit avec la guitare électrique, le tamani, la kora…
Comment expliquer, selon vous, le manque d'unité politique en Afrique ?
On ne peut pas l'avoir ! Si nous avons l'unité politique et économique, des pays comme la France et l'Angleterre ont des problèmes. La France n'a pas de matières premières : l'uranium, le pétrole, l'or, la bauxite… viennent des colonies. Si ces colonies s'unissent, la France n'aura plus autant d'influence. Nous ne sommes pas unis. Le fait que la France a cautionné des dictateurs nous met en retard et nous rend dépendants. C'est à nous de faire ce travail d'unité. Mais ceux qui doivent faire ce travail ont peur. Les présidents africains bonobo ont donné tout notre magot. La relation cheval cavalier ne peut plus durer. Mais c'est toujours le cas ! Je me mets à la place de la France : "Vous vous entendez contre qui ? Contre moi ? Si je peux m'arranger à ce que vous ne vous entendiez pas c'est ce que je vais faire ! Avec les Indépendances on a envoyé quelques-uns d'entre vous dans nos universités. Vos états sont devenus indépendants. Avec l'arrivée de la concurrence chinoise je dois faire du protectionnisme. Si j'ai un président africain qui m'arrange, je le supporte et je le protège. Il me devient redevable." Si le président est protégé par la France il fait une faveur sur le pétrole, l'uranium. En échange, il demande à la France de s'arranger pour qu'il reste au pouvoir. Après comme c'est un grand démocrate, il faut placer son fils !
Et l'hypothèse d'une révolution pour passer un coup de balai ?
Il va falloir chercher le balai en France ! (Rires) Qui va financer la révolution ? La France a placé des gars. Elle ne va pas financer une révolution qui va balayer ses gars. Je ne sais pas comment on va s'en sortir. Si je fais une liste : qui a zigouillé Lumumba : les Africains ! Qui a humilié Kwamé Nkrumah, Hailé Sélassié 1er, Samory Touré… les Africains ! On a besoin de héros prêts à mourir. Moi, j'ai mes enfants, mes petits-enfants. Je n'ai pas envie de me prendre pour Jésus-Christ. Je n'ai pas le coffre de Mandela : une vingtaine d'années de prison pour devenir président pendant un mandat. Je suis président dans ma cour, dans ma chambre, et encore… Je ne veux pas qu'on meure pour moi. Je milite pour une révolution à la japonaise : les études, la formation des cerveaux. Pas besoin de tirer. Les révolutions du type d'aller s'immoler : je ne suis pas dedans. Je dis à mes frères ceci : vous avez un seul choix, étudiez ! Soyez des ouvriers qualifiés. Ce que vous n'avez pas réussi, que vos enfants l'entreprennent. Il faut muscler le cerveau de la génération qui vient. Cette révolution-là m'intéresse !
Qui est Seydou, ce personnage que vous chantez dans un texte en malinké ?
Seydou est un enfant soldat, un combattant, un traumatisé de guerre. "Où vas-tu comme ça Seydou avec ce long fusil ? Tu marches seul, tu parles seul. Tu ris et tu pleures sous le soleil. Calme-toi ! Dis-moi Seydou ! On m'a dit que la guerre est finie. Où vas-tu ? Accroche-toi à ta foi !" J'ai fait un featuringsur cette chanson avec ma petite sœur sénégalaise : Coumba Gawlo. Nos parents ont programmé leurs enfants à faire la guerre. Ils ont oublié de les déprogrammer après la guerre. Après on s'étonne qu'il y ait des braquages ou des actes de violence. Quand on programme quelqu'un pour aller mourir et qu'il a survécu, il faut le rééduquer. On t'apprend à tuer et on te dit : donne-moi la kalachnikov. Mais tu en as quatre autres à la maison. Et tu sais tirer !
Il y a aussi deux reprises de Bob Marley et de Georges Moustaki J'ai tué le commissaire pour I shot the sheriff et Le Métèque.
J'ai écrit la cover de Marley en 1978. À l'occasion des trente ans d'anniversaire de sa mort on m'a demandé de lui rendre un hommage. J'ai donc enregistré une nouvelle version de ce titre. J'aime beaucoup la chanson de Moustaki. J'ai fait : "Avec ma gueule de nègre métèque, de juif errant, de rasta grec, et mes dreadlocks aux quatre vents". Dans la chanson française il y a de jolis morceaux qu'on peut "reggaefier". C'est déjà ce que j'avais fait dans Visionen reprenant Hugues Aufray, avec Stewball. Il y a des pépites qu'on doit mettre en valeur.
Et que faites-vous pour la mise en valeur des jeunes artistes ivoiriens ?
J'ai produit la compilation Les Môgôs du temple en 2011, avec les artistes de mon club : le Café de Versailles. Actuellement, je produis Queen Nadeija, une des chanteuses issues de ce projet. Mon problème c'est la distribution. Chacun sait que le disque se porte mal. Les majors ne signent plus. Les grosses maisons de disques veulent signer le monde entier… sauf l'Afrique. Il faut une distribution sérieuse. Au marché pirate d'Abidjan : le Black d'Adjamé, les disques que tu vends normalement à 1 500 francs CFA sont revendus à 500 francs. À l'époque j'ai produit ces artistes, gratuitement dans mon studio. J'avais une structure de distribution, qui a été mal gérée. J'ai dû dissoudre.
Enfin, comment voyez-vous votre avenir ?
Ma fille Soukeina chante avec moi. Je suis en train de l'initier. Si elle décolle ce sera mon plus grand plaisir. Chez nous, il n'y a pas de relève. C'est le plus démocratique des métiers. Le peuple vient à tes concerts parce qu'il a envie de revoir ta gueule. Le jour où il ne voudra plus venir, il ne viendra plus. C'est un métier où il n'y a pas de retraite, jusqu'à ce que mort s'ensuive, jusqu'à ce que le dentier m'en tombe !
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