jeudi 18 octobre 2012

Entretien d'Olivia Marsaud


"Avant, nous n'étions pas assez blancs… maintenant, nous ne sommes pas assez noirs"  


Olivia Marsaud
Elle débute son solo, Who is this?... Beneath my skin, dans une boîte, enroulée dans du papier bulle. Parce qu'elle ne veut justement pas être réduite à une case… Et peut-être aussi pour dire "attention fragile". Elle joue avec la matière, avec les codes de la danse classique, elle est à la fois terrienne et aérienne. "Ma peau… qu'y a-t-il derrière ?" s'interroge-t-elle. Dans ce pays ou la couleur de l'épiderme détermine les rapports humains d'une manière si violente et où l'on n'échappe pas à ces classifications, sa pièce a une résonance particulière. Utilisant la photographie et la vidéo, elle livre une œuvre protéiforme et maîtrisée.
 
Comment est né ce travail ?


Cela fait plusieurs années que j'y songe. La question de la couleur de peau et des différentes communautés, en Afrique du Sud, m'a toujours interpellée. Les gens sont classés en fonction de leur look, de leur religion, de leur genre ou de leur couleur. Ce pré-emballage me gêne. Vous êtes dans une boîte à vie et personne ne se pose de question. Moi-même je suis étiquetée colored, métisse. Mais je ne suis pas issue d'un couple mixte : ma famille est métisse depuis plusieurs générations. Mes arrière-grands-parents étaient déjà colored ! C'est particulier à l'Afrique du Sud et il y a beaucoup de discussions autour de cette soi-disant communauté. Avant, nous n'étions pas assez blancs… maintenant, nous ne sommes pas assez noirs. C'est une terrible pression de la société.


Pourquoi avoir choisi de travailler avec la vidéo ?


La première idée était de travailler avec des photographies, pour évoquer les souvenirs, les anciennes peaux que l'on voudrait abandonner. D'où l'idée de la jupe transparente remplie de photographie que je mets à un moment. J'ai ensuite décidé d'avoir une vidéaste sur scène avec moi, avec la vidéo qui tourne en temps réel sur une bâche, pour m'adresser au public de manière frontale tout en continuant à danser. Je voulais une caméra imposante, intrusive pour qu'une vraie relation s'installe.


Quelle est votre formation ?


J'ai fait du ballet classique jusqu'à l'université, où j'ai découvert d'autres styles de danse comme le jazz. J'ai grandi au Cap, pendant l'apartheid, au sein d'une communauté métisse qui était alors très isolée. À la télévision, le dimanche, on regardait Gisèle… C'est à l'université que je me suis ouverte à d'autres techniques, comme celle de Martha Graham. Je me souviens d'une de mes professeurs : une vieille sud-africaine blanche qui nous enseignait les danses traditionnelles ! J'ai passé un diplôme d'enseignante pour rassurer mes parents et un an plus tard, en 1992, j'ai rejoint une compagnie à Durban, la Napac Dance Company, fondée par l'État qui, après l'apartheid, est devenue The Play House Company. Je l'ai quitté six mois avant sa fermeture en 1997. Il n'y a plus de compagnie d'État, c'est très difficile.


Vous avez donc formé votre propre compagnie…


Oui, avec Boyzie Cekwana, en 1997, le Boyzie Cekwana's Floating Outfit Project. Cela fait plus de dix ans. Nous avons beaucoup tourné en Afrique, en Europe et aux États-Unis. En ce moment, on est chacun sur nos projets individuels car je voulais plus me tourner vers la chorégraphie.


Y a-t-il une scène contemporaine importante à Durban ?


Il n'y a pas beaucoup de choix de collaborations, la ville est beaucoup plus petite que Johannesbourg et le public est réduit pour la danse contemporaine, il est plus attiré par les spectacles commerciaux ou le ballet. Je monte peu de pièce à Durban sauf durant le Jomba ! Un festival 100 % destiné à la danse contemporaine. Mais j'aime cette ville, son atmosphère, elle m'inspire.

Source:Africultures

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