‘’ Nous danseurs professionnels donnons le meilleur de nous même pour l’image du pays, mais nous ne pouvons même pas nourrir nos familles’’
Plusieurs réformes sont annoncées ces derniers jours dans le secteur
culturel au Bénin. Les autorités en charge de la culture veulent révolutionner
ce secteur afin de le rendre performant et générateur de revenu pour la nation.
Mais est-ce que tout est réglé déjà dans les secteurs vitaux de la culture ?
Pour en avoir une idée, nous sommes intéressés au domaine de la danse. Un danseur
professionnel et pas des moindres au Bénin s’est prêté à nos questions. Il s’agit
de Léon
Hounyè ou Sakpata Zogbo. Il parle de la misère des danseurs
professionnels au Bénin, de la danse et de ce qu’il faut faire pour qu’elle ne
se meure. Lisez plutôt.
La danse et Sakpata Zogbo une longue histoire, quel est votre
parcours ?
Merci de nous accorder du prix,
car c’est la première fois à ma connaissance qu’un journaliste culturel du
Bénin, s’intéresse aux professionnels de la danse. Ceci dit la danse, je l’ai
commencé depuis ma tendre enfance. A la maison partout je dansais et en
grandissant, j’ai intégré plusieurs groupes folkloriques de Toba dans mon
quartier. Après avoir acquis des expériences, j’ai fait mon adhésion au groupe d’Anagonou
Vodjo où j’ai appris à danser le rythme Akonhoun d’ Abomey. Chemin faisant
Dakossi Denis nous sollicita pour le tournage du clip de sa chanson intitulée
‘’Kouo lognin Ahouan’’. C’était d’ailleurs le tout premier clip dans lequel
j’ai dansé en tant que danseur professionnel. Ensuite, j’ai intégré Ori Danse
de Florent Hessou, après ce fut les As du Bénin où j’ai passé quatre ans avant
de revenir chez Anagonou Vodjo. J’en étais là lorsque Simplice Béhanzin était
venu me solliciter pour intégrer son groupe folklorique du rythme Akonhoun. Sur
mon chemin de danseur et partout où je suis passé, j’ai toujours innové et créant
des danses pour chaque troupe. C’était au sein d’Ori Danse que j’ai effectué
mon premier voyage en tant que danseur professionnel. C’était aux Etats-Unis où
j’ai été vraiment adulé. Du retour au bercail, j’ai été recruté au sein du
Ballet national où nous avons évolué pendant 2 ans sans salaire. Voilà
brièvement mon parcours, mais j’avoue qu’il est très difficile d’être danseur
professionnel au Bénin et moi je souhaiterais même que la danse se meurt et au
grand jamais mes enfants ne deviennent danseurs dans ce pays. Car nous autres
danseurs professionnels du Bénin nous souffrons trop.
Pourquoi souhaitez-vous que la danse au Bénin se meurt, si on considère
que ceci est votre seule profession, qu’est-ce qui motive un tel vœu ?
Je ne peux que vous remercier
pour cette question. Je souhaite simplement que la danse disparaisse de ce pays
et qu’on en parle plus, parce que voyez-vous dans ce pays nous n’avons rien à
vendre aux autres si ce n’est nos danses. Nous n’avons ni football, ni basket Ball,
ni théâtre, ni artistes de la musique, nous n’avons rien. Selon vous, quel est
l’artiste de théâtre aujourd’hui au Bénin
qui peut aller jouer dans un pays anglophone ? Jusqu’à demain, cet
artiste n’existe pas. La dernière fois en Pologne c’est de petits enfants d’un
chœur polyphonique qui de part leur voix ont surpris leur monde. Ici nous
n’avons rien de cela. Moi j’ai dansé dans ce pays et le président polonais est
venu m’enlacer ce qui a fait le chou gras de beaucoup de journaux en Europe et le
nom du Bénin est sorti grandi. Nous danseurs professionnels donnons le meilleur
de nous même pour l’image du pays, mais nous ne pouvons même pas nourrir nos
familles. On ne peut même pas scolariser nos enfants, pourtant c’est un métier
qui pourrait bien nourrir son homme au Bénin. C’est la manière de gérer les
choses qui est peu catholique. Les vrais danseurs ne sont pas des gens qui
étudient pendant longtemps. Ils ne disposent même pas du temps pour étudier,
car ils sont tout le temps dans la pratique parce que la danse est un domaine
très vaste, contrairement aux autres domaines de la culture où les artistes
sont beaucoup plus relaxes. Nous avons
pourtant des gens comme Alladé Koffi Adolphe qui se battent pour le rayonnement
de la danse au Bénin, mais c’est encore un terrain vierge où lorsqu’on envoie
un intellectuel, il vient s’accaparer de ce qui devrait en temps normal revenir
aux danseurs. Ceux là roulent dans de belles voitures pendant que les vrais
acteurs, les danseurs qui déploient leurs énergies sont à la traine, parmi eux
il y en a qui n’ont même pas un moyen de déplacement. Nous évoluons dans des
conditions très difficiles, c’est pour toutes ces raisons que moi je voudrais
bien que la dance se meurt, ou qu’on aille à la reforme des choses.
Mais face à ce tableau sombre de l’univers de la danse, quelles sont
vos conditions en tant que danseurs professionnels au Ballet National?
A l’ensemble artistique National,
les danseurs professionnels que nous sommes, sont à 50.000f CFA par mois et par
personne. De vous à moi, voyez ce que les danseurs déploient comme effort et
ils ne sont pas récompensés à la hauteur
de ses efforts là. Avec les 50.000f CFA, que pourront-ils faire? Rien du tout,
même pas satisfaire aux besoins vitaux de leurs familles et avoir d’économie. Mais
aucune autorité ne daigne réagir jusque là, pour mettre fin à une telle injustice.
Tenez le Fonds d’aide à la culture, voilà une structure qui peut facilement
aider les danseurs professionnels à sortir des sentiers battus, mais elle évolue
dans le cafouillage total. C’est aux artistes qui sont déjà riches que ce fonds
accorde encore des subventions. Les danseurs contemporains prennent de l’argent
au Fonds d’aide, mais les danseurs de nos danses traditionnelles qui élèvent ce
pays ne sont pas reconnus.
Donc en définitif, le métier de danseur au Bénin ne nourrit vraiment pas son homme ?
Evidemment que non et pour que ce
métier nourrisse la famille d’un danseur, il faudrait que ce dernier soit un
menteur, un vrai roublard et qu’il chante la bonté d’un tel ou d’un tel autre. C’est
ici le lieu de remercier encore une fois Alladé Koffi Adolphe. Il a une troupe
bien structurée il a acheté des motos qu’il a distribué à tous ses danseurs et
danseuses, qui tous sont salariés. C’est un vrai combattant pour la cause des
danses traditionnelles au Bénin. A quoi sert la direction de la promotion
artistique et culturelle ? N’est-ce pas cette direction qui devrait s’attaquer
à la danse et de la développer ? Mais elle ne fait rien du tout. Comment un
danseur professionnel pourrait nourrir sa famille si de retour d’un voyage de
deux (02) mois à l’étranger, on lui donne 100.000f CFA. C’est difficile et c’est vraiment déplorable.
Alors si vous êtes confrontés à tous ces problèmes, pourquoi n’allez-vous
pas en association pour ensemble défendre vos droits et intérêts ?
Lorsqu’on tombe, il ne faut pas
voir là où on a trébuché mais plutôt là où on a cogné du pied contre la pierre.
Le ver est donc dans le fruit. Beaucoup de nos devanciers, des gens comme Koffi
Alladé avaient eu cette initiative de mettre en place une association. Mais depuis
lors, ceux à qui un tel regroupement des danseurs ne rendra pas service, font
tout pour mettre les bâtons dans les roues. Ils corrompent, certains artistes
qui n’ont pas de convictions. C’est ce
qui s’est produit jusque là. Aujourd’hui encore, je suis le seul danseur qui
ose défendre l’intérêt commun et qui ose me rebeller.
Parlons de votre talent de danseur professionnel. Chose apprise ou simplement
un don de Dieu ?
Etre danseur, cela ne s’apprend
pas, c’est Dieu qui donne. On nait avec la danse dans le sang. Je vous donne
mon exemple. Moi je suis Toffin de Sotchanhoué, mais vous voyez comment je
danse toutes les danses du Bénin. Si on crée une danse et que je ne la maîtrise
pas, cela me rend dingue. Aucune danse aujourd’hui au Bénin ne peut me
résister. C’est le don, c’est le talent.
Un mot à l’endroit de Marcel Zounnon, du ministre de la culture et de
ses collaborateurs pour que la danse au Bénin ne se meurt ?
D’abord je salue le directeur du
Ballet National, Marcel Zounnon. Au départ on ne s’entendait pas, mais aujourd’hui
j’ai compris que c’est un homme de vision. Il nourrit de grandes ambitions pour
ce Ballet, qu’il continue sur cette lancée et qu’il n’écoute pas les mauvaises
langues. Au ministre et à ses collaborateurs, je voudrais leur demander d’accorder
plus de crédits aux danses traditionnelles et au Ballet National, qui font parler
du Bénin partout dans le monde.
Propos recueillis par Patrick Hervé YOBODE
bien parle monsieur
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